52 ans déjà que l'on annonçait la disparition tragique de Marilyn Monroe le 5 août 1962 et alors que le décès de la star faisait la première page des journaux du monde entier, seulement deux jours auparavant, une très longue interview de Marilyn paraissait dans le célèbre magazine américain "Life Magazine"
Une interview qui avait été réalisée le 4 juillet 1962, un mois avant la mort de Marilyn Monroe, dans la maison de l'actrice à Los Angeles et bien qu'elle était réticente à l'idée d'ouvrir la porte de sa villa de Brentwood, elle accepta de se livrer au journaliste
Richard Meryman dans un très long entretien de 6 heures et laissa le photographe Allan Grant prendre quelques clichés. Une interview exceptionnelle dans laquelle elle se confia comme rarement elle l'avait fait.
Interview complète de Marilyn Monroe pour "Life Magazine" le 4 juillet 1962

Quelquefois je sors, pour faire des courses ou
simplement pour voir comment sont les gens, avec juste un foulard, un
polo, pas maquillée, et je surveille ma démarche. Eh bien, malgré cela,
il y a toujours un garçon, un peu plus dégourdi que les autres, qui dit à
son copain: " Hé ! minute ! tu sais qui c'est, celle-là ? ". Et aussitôt
ils se mettent à me suivre. Dans le fond, ça m'est égal. Je comprends
très bien que les gens veuillent se rendre compte que vous existez
réellement. Il faut les voir, les garçons - même les petits gosses -,
leur visage s'éclaire, ils disent : " Ben ça, alors ! " et ils filent
raconter l'histoire à leurs copains. Les messieurs, eux, m'abordent en
me disant : " Attendez une seconde. Je vais prévenir ma femme. " Vous
leur avez changé toute leur journée. Le matin, lorsque je mets le nez
dehors très tôt, et que je croise les éboueurs de la 57e Rue, ils me
disent toujours : " Salut, Marilyn ! Comment ça va, ce matin ? ".
C'est
un honneur pour moi et je les aime pour ça. Lorsque je passe, les
ouvriers se mettent à siffler. D'abord, parce qu'ils se disent: " Tiens,
tiens, c'est une fille, elle est blonde et pas mal fichue ", et puis,
brusquement, ils réalisent et ils se mettent à crier: " Bon sang, mais
c'est Marilyn Monroe ! ". Eh bien, voyez-vous, ce sont des moments où je
suis heureuse de me dire que tous ces gens-là savent qui je suis. Je ne
sais pas exactement pourquoi, mais je suis sûre qu'ils comprennent que
je me donne entièrement à ce que je fais - aussi bien à l'écran que dans
la rue - et que, lorsque je leur dis " Bonjour ", ou " Comment ça va ?",
je le pense vraiment. Dans leur tête, ils se disent : "Formidable, j'ai
rencontré Marilyn ! Et elle m'a dit bonjour." Seulement, voilà. Lorsqu'on
est célèbre, on se heurte à la nature humaine à l'état brut. La
célébrité traîne toujours la jalousie derrière elle. Il y a des gens
qu'on rencontre, comme ça, et qui ont toujours l'air de se dire: " Mais
qui est-ce, cette bonne femme ? Pour qui se prend-elle ? " Ils ont
l'impression que ma célébrité leur donne tous les droits. Même le
privilège de m'aborder et de me dire tout ce qui leur passe par la tête,
toutes sortes de choses. Mais ça ne me blesse pas. C'est un peu comme
s'ils s'adressaient à mes vêtements, pas à moi. Un jour, je me souviens,
je cherchais une maison à acheter. Je vis un écriteau. Je sonnai. Un
homme est sorti, très gentil, très aimable. Il m'a dit : " Oh ! attendez,
ne bougez pas ! Je voudrais que ma femme vous rencontre. " Alors, la
femme est sortie, et elle m'a dit froidement : " Voulez-vous, s'il vous
plaît, débarrasser le plancher. "
Prenez, par exemple, certains
acteurs, ou certains metteurs en scène. S'ils ont quelque chose à me
reprocher,

ils ne me le disent jamais à moi, ils le racontent aux
journalistes, parce que, comme cela, ça fait beaucoup plus de bruit.
S'ils viennent m'insulter entre quatre yeux, ça ne tire pas à
conséquence, parce qu'il me suffit de les envoyer au bain, et c'est
fini. Mais s'ils le disent aux journalistes, alors là, ça fait le tour
du pays, puis le tour du monde, et là ils sont contents. Moi, je ne
comprends pas que les gens ne soient pas un peu plus généreux entre eux.
Ça m'ennuie de dire cela, mais je crois qu'il y a beaucoup de jalousie
dans ce métier. Tout ce que je peux faire, c'est réfléchir et me dire : "
Moi, ça va. Je sais que je ne suis pas jalouse. Mais eux... " Je ne
sais pas si vous avez lu une fois ce qu'un acteur disait de moi. Il
prétendait que, lorsqu'il m'embrassait, il avait l'impression
d'embrasser Hitler. Après tout, c'est son affaire. Mais si je devais
jouer une scène d'amour avec un type qui penserait ça de moi, eh bien,
il ne compterait pas plus pour moi qu'un manche à balai.
Plus les
gens sont importants, ou plus ils sont simples, moins ils se laissent
impressionner par la célébrité. Ils ne se sentent pas obligés d'être
agressifs, ou insultants. Ils veulent savoir qui vous êtes vraiment.
Alors, j'essaie de le leur expliquer. Je n'aime pas leur faire de la
peine et leur dire : " Vous ne pouvez pas me comprendre ". J'ai
l'impression qu'ils comptent sur moi pour leur apporter quelque chose
qui n'existe pas dans leur vie de tous les jours. Je suppose que c'est
leur plaisir, leur évasion, leur fantaisie. Parfois je suis un peu
triste, parce que j'aimerai rencontrer quelqu'un qui me jugerait sur ce
que je sens, et pas sur ce que je suis. C'est agréable de faire rêver
les gens, mais j'aimerai bien qu'on m'accepte également pour moi-même.
Je
ne me suis jamais considérée comme une marchandise qu'on vend ou qu'on
achète. Par contre, il y a une quantité de gens qui ne m'ont jamais
considérée autrement, y compris une certaine firme que je ne nommerai
pas. Si, parfois, je donne l'impression d'être un peu persécutée ou
quelque chose comme ça. eh bien, c'est sans doute parce que je le suis.
C'est toujours la même histoire. Je m'imagine que j'ai quelques
merveilleux amis, et puis crac! Ça y est! Ils se mettent à faire des tas
de choses - ils parlent de moi à la presse, leurs amis, ils racontent
des histoires, c'est vraiment décevant. Ceux-là sont les " amis " que
l'on n'a pas envie de voir tous les jours. Bien sûr, ça dépend des gens,
mais parfois je suis invitée quelque part un peu pour rehausser un
dîner - comme un musicien que l'on invite pour qu'il joue du piano après
le repas. Je me rends toujours compte que je ne suis pas invitée pour
moi-même, que je ne suis rien de plus qu'un ornement.

Lorsque
j'avais cinq ans - Je crois d'ailleurs que c'est à cet âge-là que j 'ai
commencé à vouloir être actrice - j'adorais jouer. Je n'aimais pas
beaucoup le monde qui m'entourait parce que je le trouvais triste, mais
j'adorais jouer à la maman, j'avais l'impression que je me créais un
monde à moi. J'allais plus loin d'ailleurs. Je créais mes propres
personnages, et si les autres gosses étaient un peu lents du côté
imagination, je leur disais : " Dis donc, Si on jouait a être ceci ou
cela? Moi je serai Untel et toi tu seras Untel. Ce serait drôle, non "
Et les autres disaient : " Oh oui! " Et alors moi, je disais : " Ça, ce
sera un cheval et ça ce sera, je ne sais pas, moi, n'importe quoi ", et
on s'amusait, c'était drôle. Lorsque j'ai appris que c'était ça, jouer
la comédie, je me suis dit que c'était cela que je voulais faire plus
tard - m'amuser, autrement dit. Mais après j'ai grandi, et je me suis
rendu compte que ce n'était pas aussi facile. Il y a toujours quelqu'un
pour vous rendre la chose très difficile. C'est très dur de vouloir
s'amuser. Lorsque j'étais petite, certaines familles qui m'avaient
adoptée m'envoyaient au cinéma pour que je débarrasse le plancher. Je
m'asseyais au premier rang, et je passais là toute la journée et une
bonne partie de la soirée. Une petite fille toute seule devant cet
immense écran, et j'adorais ça. J'aimais tous ces hommes et ces femmes
qui bougeaient devant moi, rien ne m'échappait, et je n'avais même pas
de chewing-gum.
J'avais l'impression que je vivais en dehors
du monde que tout était fermé pour moi, et puis brusquement, lorsque
j'atteignis mes onze ans, le monde entier s'ouvrit devant moi. Même les
filles commencèrent à me remarquer. Elles pensaient : " Hmmmm,
attention! Voilà de la concurrence. " J'avais quatre kilomètres à faire
pour aller à l'école. Quatre kilomètres aller, quatre kilomètres retour;
et c'était chaque fois une promenade merveilleuse. Tous les hommes
klaxonnaient sur mon passage, vous savez, des ouvriers qui allaient au
travail ou qui en revenaient. Ils me faisaient des signes, et je leur
répondais.
Le monde m'était ouvert, et il était plein d'amitié. Tous
les gosses qui livraient les journaux venaient me voir dans la maison
où j'habitais. Moi, j'étais toujours perchée sur une branche d'arbre, et
je portais une sorte de sweater - à cette époque-là, je n'avais pas
encore réalisé la valeur que peut avoir un sweater pour une fille - mais
je commençais tout de même à comprendre. Alors, les gosses venaient me
voir sur leur bicyclette et ils me donnaient les journaux gratuitement
et cela faisait bien plaisir à la famille. Pendant ce temps, moi,
j'étais sur ma branche d'arbre, et je devais sûrement avoir l'air d'un
singe. Je n'osais pas descendre, mais quand je le faisais, j'allais me
promener avec les garçons sur le trottoir, les mains dans le dos, le nez
baissé, donnant des coups de pied dans les feuilles mortes, parlant
parfois, mais écoutant surtout.
Et, parfois, les gens chez qui je
vivais se faisaient du mauvais sang parce que je riais trop fort. Ils
s'imaginaient sans doute que j'étais hystérique. Ils ne comprenaient pas
que j'avais une merveilleuse impression de liberté parce que j'osais
demander aux garçons : " Prête moi ta bicyclette " et qu'ils me
répondaient : " Oui, bien sûr ". Je partais dans la rue à toute vitesse
en riant comme une folle ; avec le vent dans la figure, tandis que les
garçons restaient sur le trottoir en attendant que je revienne. J'aimais
le vent sur ma figure. Ça me caressait. Mais c'était comme un
instrument à double tranchant. Lorsque j'ai commencé à voir plus clair,
je me suis rendu compte que je jouais un jeu dangereux et que les hommes
se figurent des tas de choses. Ils ne se contentaient pas d'être
gentils. Bien vite, ils deviennent trop gentils. Ils s'attendent
toujours à obtenir beaucoup pour pas grand-chose.
Quand je fus
plus grande, j'allais souvent au théâtre chinois de Grauman - un théâtre
de Los Angeles où les grandes vedettes, lorsqu'elles sont consacrées
viennent imprimer leurs pieds nus dans le ciment frais. Je plaçais mon
pied dans les empreintes et je me disais : " Oh oh ! il est trop grand.
Pauvre fille, jamais ton tour ne viendra. " Ça m'a fait une drôle
d'impression le jour où je l'ai mis pour de bon. C'est ce jour-là que
j'ai compris que rien n'était impossible. C'est dur de devenir une
actrice, et c'est la part de création qu'il y a dans ce métier qui
m'exaltait, qui m'empêchait de me décourager. J'aime jouer la comédie,
surtout lorsque je sens que je joue juste. Je crois que j'ai toujours
été un peu trop fantaisiste pour être une femme d'intérieur. Et puis, il
fallait aussi que je mange. Parlons franchement, je n'ai jamais été
entretenue, je me suis toujours entretenue toute seule. Et Los Angeles
était ma ville natale, alors lorsqu'on me disait : " Retourne chez toi
", je pouvais répondre: " Je suis chez moi ".
Je crois que je me
suis rendu compte de ma célébrité le jour où, en revenant de l'aéroport,
j'ai vu mon nom en lettres énormes sur le fronton d'un cinéma. Je me
souviens, j'ai arrêté ma voiture, et je me suis dit : " Grands dieux !
Ce n'est pas possible ! C'est une erreur ! " C'était pourtant là, en
grandes lettres de néon. Alors, je suis restée là à me dire : " C'est
donc ça !" C'était une impression vraiment curieuse. Pourtant, je me
souvenais qu'au studio ils me répétaient tout le temps: " Attention, ne
te prends pas pour une vedette, tu n'es pas une vedette. " Moi, je
voulais bien, mais il n'empêchait que mon nom était là en grandes
lettres de néon. Je n'ai vraiment réalisé que j'étais une star, ou
quelque chose de ce genre, que grâce aux journalistes. Ils étaient
toujours gentils avec moi, aimables. Les hommes, pas les femmes. Ils me
disaient : " Vous savez que vous êtes me grande star, la seule star ",
et moi je disais : " Star ? " et eux me regardaient comme si j'étais
brusquement devenue folle. Je crois vraiment que c'est eux, à leur
manière, qui m'ont fait comprendre que j'étais célèbre.

Lorsque
j'ai eu le rôle dans " Les hommes préfèrent les blondes", Jane Russel
jouait la brune et moi j'étais la blonde. Elle touchait 200 000 dollars
(100 millions d'AF) pour le film et moi j'en touchais 500 (250 000 AF)
par semaine, mais je ne me plaignais pas. Pour moi c'était énorme. Je
dois dire en passant que Jane Russel avait été merveilleusement gentille
avec moi durant le tournage. La seule chose que je ne pouvais pas
obtenir, c'était une loge. Et je voulais une loge. Je leur disais à tous
: " Écoutez quand même! Ce n'est pas logique ! Je suis la blonde et le
film s'appelle " Les hommes préfèrent les blondes ". Mais eux, ils ne
faisaient que me répéter " Souviens-toi que tu n'es pas une star ", et
moi je répondais : " Je ne sais pas ce que je suis, mais en tout cas, je
suis la blonde! ". Et je dois dire que si je suis une star, c'est au
public que je le dois. Pas au studio qui m'employait , mais au public.
Je recevais un courrier énorme, et lorsque j'allais à une première de
film, les propriétaires du cinéma voulaient toujours faire ma
connaissance. Je ne savais pas pourquoi. Ils se précipitaient et je
regardais derrière moi pour voir qui les intéressait tellement, et
j'étais morte de peur. J'avais parfois l'impression de me payer la tête
de quelqu'un, je ne sais pas de qui, peut-être de moi-même...
J'ai
toujours voulu en donner aux gens pour leur argent. C'est valable pour
toutes les scènes que je joue.
Même si mon rôle consiste uniquement à
entrer dans une pièce, à dire " Salut ! " et à m'en aller, je m'efforce toujours de donner le meilleur de moi-même. Bien sûr, il y a des jours
terribles. Ceux où j'ai la responsabilité d'une scène très importante,
sur laquelle repose le film tout entier. Ces jours-là, en allant au
studio, je voyais la femme de ménage en train de nettoyer, et je me
disais : " Voilà ce que j'aimerais faire. Mes ambitions dans la vie
s'arrêtent là. " Je suppose que tous les acteurs traversent ce genre de
crise. Il ne suffit pas de vouloir être bon, il faut l'être. On parle
toujours du trac chez les acteurs. Mais lorsque je dis à mon professeur,
Lee Strasberg : " Je ne sais pas ce que j'ai, je me sens un peu
nerveuse ", il me répond: " Le jour où tu ne le seras plus il faudra
quitter le métier. C'est cette nervosité qui prouve que tu es sensible. "
Il
y a une chose que peu de gens réalisent. C'est la lutte perpétuelle que
chaque acteur doit livrer contre sa propre timidité. Il y a une voix en
nous qui nous dit jusqu'où nous pouvons nous laisser aller, tout comme
un enfant en train de jouer et qui s'arrête de lui-même lorsqu'il va
trop loin. On s 'imagine qu'il suffit d'arriver sur le plateau et de
faire ce qu'il y a à faire. Mais c'est une véritable lutte qu'il faut
soutenir avec nous-mêmes. Moi j'ai toujours été d'une timidité maladive.
Il faut vraiment que je lutte. Un acteur n'est pas une machine et un
créateur est avant tout un être humain. Et un être humain, ça sent, ça
souffre, c'est gai ou bien c'est malade. Comme tous les êtres qui
créent, je voudrais avoir un peu plus de contrôle sur moi-même. Je
voudrais qu'il me soit facile d'obéir à un metteur en scène. Lorsqu'il
me dit : " Une larme tout de suite ", je voudrais que cette larme
jaillisse et que ce soit fini. "
Une fois pourtant, deux autres
larmes ont suivi la première parce que je me demandais : " Comment
ose-t-il me demander une chose pareille ? " Savez-vous ce que disait
Goethe ? Il disait : " Le talent se développe

dans l'intimité. " Et
c'est tellement vrai. Les gens ne réalisent pas à quel point il est
nécessaire pour un acteur de pouvoir parfois être seul. Lorsqu'on joue,
c'est un peu comme si on autorisait les gens pendant un bref moment à
partager quelques-uns de nos secrets intimes. Et c'est pour cela qu'il
faut pouvoir être seul lorsque nous ne sommes pas en scène. Mais les
gens sont toujours après vous. On dirait vraiment qu'ils veulent
posséder un petit morceau de vous-même. Je ne sais pas s'ils s'en
rendent compte, mais c'est un peu comme s'ils me disaient " Grr, fais
ceci, Grr, fais cela. " Mais moi je veux rester moi-même et sur mes deux
pieds. Lorsqu'on est célèbre, chacune de vos faiblesses est amplifiée
au maximum. Le cinéma devrait se conduire à notre égard comme une mère
dont l'enfant vient tout juste d'échapper à un accident de voiture. Mais
au lieu de nous prendre contre lui et de nous consoler, le cinéma nous
punit. C'est pour cela que l'on n'ose même pas attraper un rhume. Tout
de suite, ce sont les grands cris " Comment osez-vous attraper un rhume ?
" Les directeurs eux, peuvent prendre tous les rhumes du monde, passer
le restant de leurs jours chez eux à téléphoner.
Mais que nous
les acteurs nous ayons le toupet d'attraper un rhume, ça, ça les
dépasse. Vous savez, lorsqu'on est malade, on n'est pas très fier. Mais
moi je voudrais qu'eux, les directeurs, soient obligés un jour de jouer
une scène avec une grippe ou une forte fièvre, peut-être qu'ils
comprendraient. Je ne suis pas le genre d'actrice qui ne vient au studio
que pour respecter la discipline. Cela n'a aucun rapport avec l'art.
Bien sûr je souhaiterais être un peu plus obéissante. Mais lorsque je
viens au studio, c'est pour jouer, pas pour être enrégimentée ! Après
tout, ce n'est pas une école militaire, c'est un studio de cinéma. Le
cinéma, c'est un art, le studio est l'endroit où l'on exerce cet art, ce
n'est pas une usine. Vous voyez, cette sensibilité qui m'aide à jouer
la comédie, c'est elle également qui me fait réagir. Un acteur est un
instrument sensible. Isaac Stern prend un soin jaloux de son violon. Que
se passerait-il Si tout le monde s'amusait à marcher dessus ? Avez-vous
remarqué qu'à Hollywood où des millions et des milliards de dollars ont
été gagnés, il n'existe pas de monuments, de musées ? Personne n a
laissé quelque chose derrière soi. Tous ceux qui sont venus là n'ont su
faire qu'une chose, prendre, prendre. Tout le monde a ses problèmes. Il y
a même des gens qui ont des problèmes vraiment angoissants, et pour
rien au monde ils ne voudraient que ça se sache. Or, l'un de mes
problèmes à moi est un peu voyant. Je suis toujours en retard.
Les
gens s'imaginent que c'est par arrogance, mais moi je prétends que
c'est exactement le contraire. Je sens que je ne fais pas partie, et que
je ne ferai jamais partie de cette grande cavalcade américaine, où les
gens passent leur vie à se précipiter d'un endroit à l'autre, très, très
vite; et sans raison vraiment valable. Ce qui est important pour moi,
c'est d'être prête lorsque je dois jouer la comédie. Il faut que je me
sente sûre de mes moyens. Je connais des tas de gens qui sont
parfaitement capables d'être à l'heure, mais c'est pour ne rien faire
sinon rester assis à se raconter leur vie ou toutes sortes d'autres
âneries. Clark Gable disait de moi " Lorsqu'elle est là, elle est là.
Elle est là tout entière, elle est là pour travailler. "

Lorsqu'on
m'a demandé de paraître au Madison Square Garden pour la soirée
d'anniversaire du président Kennedy, je me suis vraiment sentie fière.
Lorsque je suis arrivée sur la scène pour chanter " Bon anniversaire "
il y eut un silence énorme dans le stade, un peu comme si j'étais
arrivée en combinaison. A ce moment, je me suis dit " Mon Dieu, que
va-t-il se passer si je n'arrive pas à chanter ? " Un silence pareil de
la part d'un tel public, cela me réchauffe. C'est comme une sorte de
baiser. A ce moment-là, on se dit " Bon sang ! je chanterai cette
chanson, même si c'est la dernière chose que je puisse faire au monde.
Et je la chanterai pour tout le monde." Et quand je me suis tournée vers
les micros, je me souviens que j'ai regardé le stade dans tous les sens
en me disant " Voilà où j'aurais pu être, quelque part en haut,
derrière les poutres, près du plafond après avoir payé mes deux dollars."
Après le spectacle, il y eut une sorte de réception. J'étais
avec mon ex-beau-père, Isadore Miller, et je crois que j'ai fait une
gaffe lorsqu'on m'a présentée au président Kennedy. Au lieu de dire "
Bonjour, M. le président ", je lui ai dit " Je vous présente mon
ex-beau-père, Isadore Miller. " Moi, je pensais que je lui ferais
plaisir en le présentant directement. Il est venu en Amérique comme
immigrant, et il a maintenant quelque chose comme soixante-quinze ou
quatre-vingt ans. Je pensais que c'était le genre de chose qu'il
raconterait à ses petits-enfants. Bien sûr, j'aurais dû dire " Bonjour,
M. le président ", mais j'avais déjà chanté. Alors, vous comprenez...
Non?... De toute manière, je crois que personne ne s'en est rendu
compte. La célébrité ce n'est pas toujours rose, et je veux insister là
dessus. Ça ne me gêne pas d'être célèbre à cause de mon charme ou bien
parce que je suis " sexy ". Ce qui me gêne, c'est ce qui entoure ce
genre de célébrité. Je n'oublierai jamais, par exemple, cette femme qui,
sur le seuil de sa maison, me disait " Allez, débarrassez le plancher! "
Moi, je pense que la beauté et la féminité sont des choses qui n'ont
pas d'âge, et que le sex-appeal ne se fabrique pas. Le véritable
sex-appeal est basé sur la féminité, et il n'est attrayant que lorsqu'il
est naturel et spontané. C'est sur ce point précis que beaucoup de

femmes se trompent, et c'est pour cela qu'elles manquent le coche. Quand
je pense à toutes ces filles qui essaient de me ressembler, c'est
extraordinaire. Elles n'ont pas, comme dirais-je... Oh ! je sais qu'on
peut dire des tas d'âneries à ce sujet en disant qu'elles n'ont pas ce
qu'il faut devant, ou ce qu'il faut derrière, mais ce n'est pas cela qui
compte. Elles n'ont pas ce qu'il faut en elles-mêmes. Les enfants de
mon ex-mari partageaient avec moi le fardeau de ma célébrité. Parfois,
ils lisaient des choses épouvantables sur mon compte et je me faisais un
mauvais sang terrible car je craignais que cela leur fasse de la peine.
Je leur demandais de tout me dire, de tout me demander. J'aimais mieux
qu'ils me posent à moi ces questions plutôt que d'aller chercher les
réponses dans les journaux à scandale.
Je voulais aussi qu'ils
sachent comment vivent les autres. Je leur racontais, par exemple,
comment je travaillais pour cinq sous par mois en lavant cent assiettes,
et les gamins demandaient : " Cent assiettes ? " Et je leur répondais: "
Non seulement cela, mais il fallait en plus que je les gratte et que je
les nettoie avant de les laver. Puis, il fallait que je les rince et
que je les mette à égoutter. Dieu merci, je n'ai jamais eu à les
essuyer. " Les enfants sont très différents des grandes personnes.
Lorsqu'on grandit, on devient parfois amer. Pas toujours, mais ça arrive
souvent. Les enfants eux vous acceptent comme vous êtes. Je leur disais
toujours : " N'admirez pas quelqu'un parce que c'est une grande
personne ou bien parce qu'il vous dit ci ou ça. Observez-le d'abord. "
C'est sans doute le meilleur conseil que je leur ai jamais donné.
Observez d'abord les gens, et après faites-vous une opinion. Je leur
disais même d'en faire autant pour moi: " Essayez de voir si ça vaut le
coup de me prendre comme amie. Après vous verrez bien. "

La
célébrité, pour moi, ce n'est pas tout le bonheur. C'est très fugitif,
même pour une orpheline. Et j'ai été élevée comme une orpheline. La
célébrité, ce n'est pas un repos quotidien. Ça ne vous rassasie pas.
C'est un peu comme le caviar, vous savez. C'est agréable d'en manger,
mais pas à tous les repas. Je n'ai jamais eu l'habitude du bonheur. J'ai
pensé un moment que le mariage le donnait. Voyez-vous, je n'ai pas été
élevée comme les autres enfants américains. A eux, dès leur naissance,
le bonheur est dû. Ils y ont droit et c'est normal. Malgré tout, c'est
grâce à ma célébrité que j'ai pu rencontrer et épouser deux des hommes
les plus merveilleux que j'aie jamais rencontrés. Je ne pense pas que
les gens vont se mettre à me détester. En tout cas, ils ne le feront pas
d'eux-mêmes. J'aime les gens. Le " public " me fait un peu peur, mais
les gens, j'ai confiance en eux. Bien sûr, ils peuvent être influencés
par la presse ou par les histoires que le studio fait circuler sur mon
compte. Mais je pense que quand les gens vont au cinéma, ils jugent par
eux-mêmes. Nous autres, êtres humains, nous sommes de drôles de
créatures. Et nous avons toujours le droit de nous faire nos opinions
nous-mêmes. Un jour, on a dit de moi que j'étais liquidée, que c'était
la fin de Marilyn : lorsque M. Miller fut jugé pour outrage au Congrès.
Il refusait de donner les noms de ses amis qui pouvaient avoir des
rapports avec les communistes. Un directeur de société vint me trouver
et me dit : " Si vous n'arrivez pas à convaincre votre mari, vous êtes
finie. " Je lui ai répondu : " Je suis fière de la position prise par
mon mari. Je le suivrai jusqu'au bout. " Au fond, être finie, ce doit
être un soulagement. On doit se sentir comme un coureur de 100 mètres qui a
coupé le fil et qui se dit avec grand soupir : " Ça y est, c'est
terminé. " En fait, rien n'est jamais terminé. Il faut toujours
recommencer, toujours. Mais moi, je crois qu'on obtient toujours le
succès que l'on mérite. Maintenant, je ne vis que pour mon travail, et
pour les quelques amis sur lesquels je puisse vraiment compter. La
célébrité passera ? Eh bien, qu'elle passe. Adieu célébrité ; je t'ai
eue, et j'ai toujours su que tu ne valais pas grand-chose. Pour moi, tu
auras été au moins une expérience. Mais tu n'es pas ma vie.